The Jon Spencer Blues Explosion au Cabaret Aléatoire
Rock’n’roll altitude
Evénement : The Jon Spencer Blues Explosion est de retour à Marseille pour une rare date. Notre journaliste, fan incurable, revient sur les hauteurs insoupçonnées atteintes par le trio new-yorkais dans les années 90.
Il aura fallu attendre plus de dix ans pour que Jon Spencer et ses deux acolytes reviennent fouler le sol phocéen. Dix ans de trop. La dernière fois (ce fut aussi la première), c’était au Moulin pour la tournée consécutive à la sortie d’Acme (1998), l’album qui les révéla au public indé. Sur scène, un grand brun ténébreux en total look lamé argent, futal moulant et chemise à col pointu, comme une réincarnation d’Elvis possédée par tout ce que le rock avait engendré de plus primal depuis – les Stones, les Stooges, les Cramps, le Gun Club et quelques autres. A ses côtés, Judah Bauer, jeune guitariste plus posé, mais aussi plus doué pour faire sortir de sa six-cordes l’essence même du groupe : le blues, celui du Delta, pas celui de cette vieille barbe de Clapton. Enfin, aux fûts, le mastodonte avec la coupe afro, Russell Simins, capable d’alterner entre une infernale cadence punk et un groove digne des Meters pendant une heure et demie — sans lâcher les baguettes. Sans aucune interruption. Voilà comment jouait le Blues Explosion à sa grande époque : soudé, enchaînant ses missiles sans répit, guidé par son charismatique leader qui lançait en direct le prochain morceau selon l’humeur du soir, et faisant de cette constante mise en danger la marque de prestations confinant à la transe. Il y a quelques mois, nous avons revu le Blues Explosion au Ninkasi, à Lyon, pour cette tournée qui le voit aujourd’hui refaire surface. Désolé de vous le dire, mais en termes d’énergie pure, ça n’avait plus la même gueule. Désolé aussi de vous le dire, mais s’efforcer de croire que nos idoles peuvent continuer à faire du rock’n’roll après avoir passé le cap de la quarantaine, alors même que ce médium est le vecteur universel de l’urgence propre à la jeunesse, c’est se foutre un gros doigt dans l’œil. Fin de la parenthèse, revenons-en à ce qui nous occupe : The Jon Spencer Blues Explosion… dans les années 90. Né des cendres du mythique groupe noisy-punk Pussy Galore, le trio entame la décennie sous les mêmes auspices : furibard et crado, mais sexy. Son virage, celui qui va définitivement l’orienter vers le blues et les musiques noires, il le prend avec son deuxième album et premier classique, Extra Width (1993). A New York, son fief, il commence à copiner avec les mecs les plus cool du moment, Beck et les Beastie Boys, qui s’apprêtent respectivement à sortir Mellow gold et Ill communication, autant dire les disques fondateurs du crossover hip-punk à l’américaine. Mais en avril 1994, un événement dramatique fait vaciller la planète rock : Kurt Cobain, dernière figure christique du mouvement, se fait sauter le caisson en emportant avec lui les derniers restes d’un idéal déjà fort mis à mal. C’est officiel : le rock est mort. Tout le monde le dit, et surtout ceux qui, bien plus tard, nous resserviront les mêmes âneries pour vendre leur « retour du rock »… Tout ça pour dire quoi ? En 1994, lorsque sort Orange, ce sommet inégalé, ce Fun house des 90’s, personne n’y prête attention. Et le Blues Explosion rate le coche, immanquablement. Sur Orange, comme sur son chef-d’œuvre suivant (Now I got worry, 1996), il n’invente pourtant rien de moins que le rock’n’roll des temps à venir, construit sur les grands préceptes édictés depuis 1954 (sauvagerie, saleté, fun, sexe) mais nourri au meilleur de son époque (il est le premier dans son domaine à établir des passerelles avec les producteurs hip-hop ou électro d’avant-garde, pratique devenue archi courante depuis). Surtout, il n’oublie pas que le rock’n’roll est une musique de noirs pompée par des blancs, une excroissance du blues, qui ne peut avancer qu’en se risquant aux croisements les plus divers. Bref, tout le contraire de ce que nous ont vendu la décennie suivante ces gardiens du temple que sont les Libertines, Strokes et autres White Stripes, des groupes pas si mauvais mais pas si bons non plus, bien plus attachés au décorum qu’à un quelconque message — progressiste, générationnel — à faire passer… Alors voilà : The Blues Explosion, qui n’a d’ailleurs plus sorti de disque essentiel au cours des années 2000, a eu le tort d’arriver trop tôt. Tout comme The Make Up, son seul rival d’alors, les médias spécialisés ne lui ont pas donné l’exposition qui aurait fait sa gloire. Nevermind : le culte est en marche.
PLX
Le 30 au Cabaret Aléatoire (Friche la belle de Mai, 41 rue Jobin, 3e).
Rens. 04 95 04 95 09 / www.cabaret-aléatoire.com
Dans les bacs : réédition de toute la discographie des 90’s remastérisée (2010)
www.thejonspencerbluesexplosion.com