The Light That Shines, exposition de Damien Hirst au Château La Coste
Lumière et toiles
L’exposition consacrée à Damien Hirst sous le titre The Light That Shines offre pour la première fois à un seul artiste la possibilité de répartir ses œuvres sur l’ensemble du Château La Coste. En résulte une rétrospective éclatée, répartie dans différents espaces d’exposition et accompagnée de sculptures massives éparpillées sur tout le domaine.
Né en 1965 et élevé depuis, comme ses ainés Jeff Koons ou Ai Weiwei, au statut de superstar, Damien Hirst partage avec eux un besoin constant de changer de technique. Son œuvre passe ainsi sans sourcilier de l’huile sur toile au bocal de formol et de la sculpture sur marbre au mandala d’ailes de papillon. Pourtant, d’un pavillon à l’autre, le fil conducteur de son travail se dégage, fait d’une vision profondément ironique des réflexions binaires nourrissant l’art depuis ses origines. Le beau et le laid, l’ancien et le nouveau, mais surtout la vie et la mort, sont ainsi perceptibles dans quasiment chacune des œuvres présentées ici.
Dans le pavillon Renzo Piano se trouvent des pièces issues de la série qui a fait connaitre Hirst du grand public. Intitulée Natural History, elle est constituée de cuves contenant des corps d’animaux, des petits poissons aux requins massifs, comme figés en suspension dans le formol, jouant sur la ligne ténue qui sépare l’image du vivant de celle de la mort. The Ascension présente ainsi, conservé à la verticale, un veau né avec six pattes à la fois repoussant et fascinant. De manière inattendue, l’ambiguïté de sa production en 2003 fait aujourd’hui écho à l’histoire d’un animal similaire devenu, en 2022, star des réseaux sociaux au point d’être sauvé de l’abattoir et débarrassé chirurgicalement de sa malformation pour désormais couler des jours heureux dans une prairie offerte par ses fans : la vie, la mort, Hirst et Instagram en un curieux miroir.
Cette ambiguïté se retrouve, teintée d’un humour un peu plus léger tout de même, dans l’ensemble Treasures From the Wreck of the Unbelievable (Trésors de l’épave de l’incroyable), installé dans le pavillon Oscar Niemeyer et fruit d’une exposition massive qui eut lieu 2017 au Palazzo Grassi, à Venise. Si Hirst nous y présente ces œuvres comme des antiquités provenant d’une épave fraichement découverte, le crâne supposé d’un cyclope laisse rapidement perplexe. Mickey, Minnie, Donald, Pluto et Dingo, en marbre de carrare du plus bel effet et en bronze juste à côté, confirment nos doutes : s’il est ici question d’histoire et d’authenticité, ce n’est que pour mieux se moquer de nos certitudes.
Les autres volets de l’exposition se centrent sur la peinture et les arts graphiques. S’y croisent les motifs circulaires d’ailes de papillons imprimées, qui se veulent aussi réalistes que celles collées ailleurs par Hirst peuvent sembler artificielles, mais aussi des toiles sombres représentant des visions du cosmos ou, plus récemment, des éclaboussures lumineuses et colorées de pétales de fleurs. Y apparait un côté de son travail où le geste traditionnel du peintre se fond en un caractère répétitif et aléatoire qui n’est pas sans rappeler, délibérément, la production et la consommation de masse de notre époque.
Au final, cet humour parfois potache, parfois sombre, mais toujours très british de Damien Hirst, allié à une conception extrêmement méticuleuse, construit une exposition dont on ne sort pas indifférent, surtout quand elle a pour fond improbable le cadre cézannien du Château La Coste.
Pierre-Nicolas Bounakoff