The Tree of Life (USA – 2h18) de Terrence Malick avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn…
Il était une fois… l’homme
Le cinéma contemporain ne nous laisse que rarement l’occasion de vivre une telle expérience de spectateur. Rares sont les œuvres qui ambitionnent d’embrasser le chant du monde, dans son sens « gionesque », d’exprimer l’universel, l’homme et le sacré. Dans la continuité d’une filmographie déjà empreinte d’une forte contemplation métaphysique, de Badlands au Nouveau Monde, Malick accouche de son projet le plus ambitieux à ce jour, le plus boursouflé diront certains, repartant de Cannes avec en poche une Palme d’Or incontestée. Les comparaisons avec Kubrick et son 2001 apparaissent rapidement : même rejet de la starification, même lenteur à développer les projets, même pouvoir auprès des studios, même créateur d’effets spéciaux, Douglas Trumbull, même amour de la steadycam, jusqu’aux quelques images de The Tree of Life, qui résonnent très nettement avec le chef d’œuvre du maître. Mais les parallèles s’arrêtent ici : il y a chez Malick une tonalité mystique et religieuse bien plus déterminante dans la vision qu’il offre de l’éternel recommencement de l’existence. Le film est construit en plusieurs parties distinctes, dont la principale reste la tranche de vie d’une famille américaine dans les années 50 : une oscillation toute pascalienne entre les deux infinis. Les infimes relations, faîtes d’amour et de haine, tissées au jour le jour par les cinq membres de cette famille de la middle class, répondent sans cesse à l’origine du monde et la marche du temps, écrasé ici dans une verticalité intelligente. L’une des forces incontestables du cinéaste, donc du film, reste la virtuosité de son style. Le langage cinématographique ¬— cadrage, mouvements, montage, photographie, structure sonore — est ici poussé à un tel niveau qu’il porte littéralement le discours élégiaque, l’empêchant de sombrer dans le ridicule. The Tree of Life n’est justement pas un film réfléchi sur notre place dans l’univers, à l’instar de 2001, mais une œuvre ressentie, où les notions d’immortalité, d’évolution des espèces, d’éternel recommencement s’imposent à l’esprit. Cette prégnance résonne ainsi plus ou moins selon les individus, d’où le rejet ou l’adhésion que déclenche la projection du film. A un tel stade de mysticisme, de religiosité, de foi, face à une telle perception du monde, la critique devient vaine, et, malgré une poétique parfois bouffie, seules comptent au final les résonances que chacun entretient avec les infimes interrelations des éléments et des êtres qui l’entourent.
Emmanuel Vigne