The true artist à la Galerie de la Friche la Belle de Mai
Le jeu de la vérité
L’exposition collective The True Artist joue avec les limites du site artistique, avec les attentes et les vulgates concernant le statut, le rôle et l’action d’un artiste et des œuvres d’art. « Le vrai artiste » est-il un fantasme ou une réalité ?
Le public est guidé par une croyance lorsqu’il va voir une exposition : il existe une activité qui s’appelle art, cette activité produit des œuvres, ces œuvres sont de l’art. Cette croyance et les attentes qui l’accompagnent sont liées à l’attribution de valeurs à la sphère de l’art en général. Ainsi, la croyance en l’art est en attente de sa propre satisfaction : trouver des choses qui l’assurent de son bien fondé. Mais par là même, la déception rôde autour de l’art comme son partenaire obligé.
Or ici justement, notamment avec l’œuvre de Giorgio Sadotti, emblématique de l’exposition, il s’agit de mettre en forme les conditions d’une telle déception par la mise à mal d’un ensemble de préjugés sur l’artiste, par la mise en œuvre d’une dialectique entre vérité et fiction, généralité et individualité, portrait et autoportrait. Ce qui permet au spectateur d’expliciter les contenus implicitement (ou tacitement) présents dans la croyance en l’art, voire de les changer.
Qu’est-ce qui fait de l’art de l’art, qu’est-ce qui fait d’un artiste un artiste ? Avec humour et ironie, Sadotti ne tourne pas seulement en dérision toute proposition qui tenterait d’y répondre, mais le sens même de cette question — la possibilité d’énoncer une vérité sur ce sujet. Cinquante propositions, « 50 Truths », sont ainsi alignées le long du mur et agencées visuellement de la même manière : en forme de volute sur le crâne d’un homme. A la répétition de phrases s’ajoute celle d’un même portrait par l’usage de la sérigraphie. Le choix d’inscrire ces propositions non pas sur le visage mais sur le crâne accentue le caractère conceptuel de l’œuvre : la tête fonctionne ici comme le lieu de la pensée et non pas comme celui de lisibilité d’une émotion. Cette œuvre s’inscrit dans le sillage de l’art conceptuel qui s’attache à la recherche de l’idée de l’art et qui s’exprime dans la négation de l’idée de l’art tel qu’on le conçoit habituellement : l’activité artistique est singulière seulement dans la mesure où elle vise la reconnaissance de la nature même de l’art. En même temps semble s’opérer dans l’œuvre de Sardotti une critique de ce mouvement artistique : en jouant le jeu de cette recherche, il déjoue sa dynamique interne en insistant sur son caractère illusoire.
Tout cela n’est pas sans paradoxe : c’est du milieu de l’art que l’art est critiqué, les artistes restent des artistes par le fait même qu’ils dénoncent le statut dont ils se réclament. L’art se joue, se pense, et mise à chaque fois et sur sa vie et sur sa disparition ; il s’éprouve lui-même en engageant une critique interne qui œuvre à même les œuvres.
Elodie Guida
The true artist. Jusqu’au 25/10 à la Galerie de la Friche la Belle de Mai (41 rue Jobin,
3e). Rens. Triangle France : 04 95 04 96 11 / www.trianglefrance.org