La Tragédie de Macbeth à la Criée
Ô sombre héros de l’amer
Pour sa nouvelle création, le metteur en scène Frédéric Bélier-Garcia s’attaque à l’un des grands classiques du théâtre : le Macbeth de William Shakespeare. Une drôle de tragédie « sur le désir et le destin ».
« On se mesure à la pièce, mais on ne la résoudra pas… » Pas un seul instant Dominique Valadié n’a envisagé la possibilité de refuser la proposition qui lui était faite d’interpréter Lady Macbeth. Comme toute l’équipe réunie autour de Frédéric Bélier-Garcia, c’est pourtant avec une humilité teintée d’humour que la comédienne aborde l’une des pièces maîtresse de l’œuvre de Shakespeare.
Parce que La Tragédie de Macbeth est une sorte de « montagne infranchissable », selon les propres mots du metteur en scène, une « expérience de l’effroi » qui a calmé les ardeurs de bien d’autres avant lui.
S’il existe, dans l’historiographie théâtrale, des mises en scène références pour Hamlet, Le Roi Lear ou Roméo et Juliette, il n’en est rien pour ce polar écossais composé par Shakespeare à l’aube du XVIIe siècle. Macbeth n’est pas un terrain vierge, mais une pièce dont il s’agit de « lever l’opacité », une fable qui convoque un attirail fantastique de sorcières et de revenants pour « raconter notre humanité ».
« Ça n’est pas tant ce dont parle Macbeth qui fascine que la manière dont ça avance, comment les êtres se contaminent entre eux », dépeint Frédéric Bélier-Garcia. L’homme sait ce qu’il en est, lui qui a rencontré « intellectuellement » la pièce alors qu’il préparait une thèse sur… Heidegger, dans un texte de… Levinas. Une hantise et des années plus tard, c’est le hasard qui le conduit à croiser le fer avec le sombre héros d’Écosse. L’Opéra de Marseille a demandé il y a deux ans à Frédéric Bélier-Garcia de monter l’adaptation de Macbeth par Guiseppe Verdi. « Une opportunité qui m’a donné l’envie et les clés pour m’y attaquer au théâtre », explique-t-il aujourd’hui.
L’une de ces clés réside dans « l’image ardente, éternel, splendide et noire » du couple Macbeth. « C’est l’épicentre, à partir duquel naissent les répliques sismiques qui impactent d’abord les proches, puis le peuple. »
Sur scène, huit acteurs campent les principaux rôles accompagnés par un chœur de trente-cinq amateurs, au sein d’un lieu unique qui ne cesse de se transformer, pour figurer une « circularité temporelle ». Un montage contemporain (sur du Bach) pour un texte qui ne l’est pas moins. Certes, la pièce est une démonstration implacable que le slogan très actuel d’émancipation « aller vers son désir » peut aussi signifier aller vers son malheur. Il raconte comment deux personnages se noient dans un désir commun, entraînant par le fond tout ce qui les entoure.
Mais c’est dans le sel du texte, la manière dont la pensée avance, « une vivacité dans laquelle on se reconnaît » que Frédéric Bélier-Garcia identifie la contemporanéité de l’œuvre.
Stéphane Roger et Dominique Valadié (Monsieur et Madame Macbeth sur scène, « pas un couple qui cuit des brocolis », selon Frédéric Bélier-Garcia) ne disent pas autre chose, qui se délectent de « la joie et du mordant de l’écriture » shakespearienne, dans cette traduction d’Yves Bonnefoy. « La beauté de la langue fait qu’on n’a pas le temps de réfléchir. Il y a là une intelligence qui mène le spectateur à une conscience aigüe de ce qu’il est. »
Voilà campé le décor d’une drôle de tragédie.
SR
L’argument
« Ce qui est fait ne peut être défait »
Au retour d’une bataille opposant la Norvège à l’Écosse, au cours de laquelle Macbeth, valeureux chevalier des armées de Duncan, roi d’Écosse, s’est illustré par son courage, Macbeth rencontre trois sorcières qui lui prédisent qu’il sera Seigneur, puis… Roi d’Écosse. Peu de temps après, des seigneurs envoyés par Duncan viennent annoncer à Macbeth que le roi le nomme baron de Cawdor en guise de récompense… Troublé, Macbeth fait part de sa rencontre insolite à son épouse, Lady Macbeth, qui le pousse à accomplir l’oracle en assassinant le Roi Duncan, qui vient faire escale dans leur palais. Mais un crime en entraîne un autre pour assurer la sûreté de leur pouvoir. Et les conseils ambigus des sorcières ne font qu’amplifier cette marche inexorable conduisant le peuple au martyre puis à la révolte, et les protagonistes, dévorés par la culpabilité et la paranoïa, vers la folie et le final combat.
« Macbeth n’est que secondairement une pièce sur l’ambition, incidemment un opus politique sur le pouvoir, et de manière anecdotique un ouvrage sur la violence. C’est une œuvre sur le désir et le destin : comment un homme peut se tromper sur son désir et être le jouet de son destin ; ou/et inversement : comment peut-on se tromper à ce point sur son destin, qu’on en devient le jouet désarticulé de son désir. » Frédéric Bélier-Garcia