Fraîchement promu « meilleur ensemble » aux Victoires de la Musique Classique, l’ensemble Musicatreize fête cette année ses vingt ans : deux bonnes raisons de lui rendre le digne hommage qu’il mérite… (lire la suite)
Fraîchement promu « meilleur ensemble » aux Victoires de la Musique Classique, l’ensemble Musicatreize fête cette année ses vingt ans : deux bonnes raisons de lui rendre le digne hommage qu’il mérite
Dans le décor néo-baroque de l’église Saint-Charles, un soir du mois de janvier dernier rue Grignan, une douceur angélique enveloppe soudain le public. Ce sont les voix des quelques chanteurs dirigés par Roland Hayrabedian, qui nous font entrer dans le Salve Regina de Franz Liszt. Il semblerait que les musiciens soient allés chercher loin les sons d’une musique préexistante aux mots, au sens. Dès les premières notes, on se redresse, on s’assoit au bord de sa chaise, on sent bien que l’on est appelé à être soi-même tendu vers l’offrande de l’interprétation. Alors, irrésistiblement, le chant nous soulève. C’est une chorégraphie spirituelle consentie mutuellement entre les artistes et le public. Un auditeur s’est exclamé par la suite : « Musicatreize est un lieu où l’on peut être heureux ! »
Toucher le son des doigts
Dans un carnet de notes, le compositeur Iannis Xenakis souligne : « Il faut réapprendre à toucher le son des doigts. C’est ça le cœur de la musique, son essence ! »[1] Comment mieux décrire le geste juste et méticuleux de ce sculpteur de sons qu’est Roland Hayrabedian ? Artisan inlassable qui fait apparaître la matière sonore jusque dans ses nuances les plus extrêmes, il se définit lui-même comme « un musicien parmi les autres » plus que comme un chef de chœur. Pianiste et chef d’orchestre de formation, c’est sa passion pour le travail d’ensemble qui l’amène à réunir une « bande de copains » à la fin des années 70 et à oser relever le défi de créer une pièce vocale très difficile, à la demande de la compositrice Betsy Jolas, à Aix-en-Provence. Depuis, il ne cesse de recevoir des propositions de partitions de compositeurs qui voudraient remettre entre ses bonnes mains leurs productions. L’un deux, Jean-Christophe Marti, cite Emmanuel Lévinas pour décrire son rapport avec Roland Hayrabedian : « respecter, ce n’est pas s’incliner devant la loi mais devant un être qui nous croit capable d’une œuvre. » Neuf ans plus tard, en 1987, l’ensemble Musicatreize est né.
Esthétique(s)
Avec quatre-vingt pièces créées en vingt ans, environ soixante-dix compositeurs représentés, l’attribution d’un lieu de travail à Marseille et une reconnaissance internationale, Musicatreize est devenu un véritable pôle de création et de vie artistique. Roland Hayrabedian ne souhaite pas favoriser une esthétique musicale en particulier, ce qui mettrait en concurrence les compositeurs, mais plutôt encourager une liberté d’expression, permettre des rencontres, catalyser les énergies et inscrire dans le temps une fidélité dans le travail avec les créateurs. Il aime la notion d’œuvres en devenir (le cycle des Cadavres exquis proposé cette année au talentueux compositeur libanais Zad Moultaka), les formes mouvantes (Les cris de Marseille de Régis Campo), les miniatures (commande musicale de trois minutes à Philippe Leroux), tout ce qui donne vie et mouvement à la création. Ainsi, dans un réel souci d’élargissement du public, Roland Hayrabedian cherche à rendre explicite l’imaginaire musical et, guidé par son chant intérieur, à partager avec les interprètes et les auditeurs « une émotion qui les emmène ailleurs ». Le trophée des Victoires de la Musique Classique arrive à point. Il récompense vingt ans de travail d’excellence menés à Marseille, loin de l’émulation culturelle de la capitale. Consécration mais non finalité, il est un encouragement à l’authenticité des convictions artistiques.
Texte : Géraldine Pourrat
Photo : Guy Vivien
Contact Musicatreize : 04 91 00 91 31
www.musicatreize.org
Les sorcières, du 15 au 17 au Théâtre des Bernardines
Des livres à écouter
Parallèlement à son travail de création musicale, l’Ensemble Musicatreize développe aussi un travail d’édition en partenariat avec la maison arlésienne Actes Sud. Les sorcières, qui sera mis en scène durant trois jours aux Bernardines, est le premier livre-disque d’une série qui se veut le reflet de contes venus de tous horizons. Chaque livre associe le travail d’un écrivain et d’un compositeur chargé de « mettre en musique » l’histoire présentée. Des textes, de la musique, et aussi de magnifiques illustrations composent cet objet hybride à l’esthétique raffinée. Pour cette première sortie, c’est le Portugal qui est à l’honneur avec un poème-conte où des sorcières subissent la foudre inquisitrice des hommes. L’ensemble marseillais accompagnera aussi chaque sortie de ces livres musicaux par une création scénique permettant de donner à ses projets une dimension vivante. La prochaine livraison, Conte nomade, légende hongroise mise en musique par Laszlo Sary, sortira en même temps que sa représentation au festival de Marseille le 12 juillet prochain. La troisième sortie, L’arbalète magique, inspirée d’une légende vietnamienne et mise en musique par Tôn-Thât Tiêt (qui a notamment réalisé les B.O. de Cyclo et de L’odeur de la papaye verte), est prévue pour l’automne et s’adressera autant aux adultes qu’au jeune public.
nas/im
Notes
[1] Iannis Xenakis, carnet de notes, 1951-1952, BNF, Musique, archives Xenakis