Trois expo coréennes dans le cadre de l’année France-Corée
Vent d’Est
Le huitième Printemps de l’Art Contemporain a tenté de se mettre à la page coréenne en s’inscrivant dans le cycle des manifestations organisées à l’occasion de l’année France-Corée. Mais on ne force pas l’amitié et l’entreprise fût plus ardue qu’elle n’y paraissait sur le papier… Peu importe, il en résulte quelques belles expositions réalisées par des artistes ayant fait le voyage. Aucune raison, donc, de se priver de ce vent d’Asie…
Rappelons en préambule pour ceux qui l’ignoraient encore que l’année 2015-2016 est l’année France-Corée (du Sud, évidemment). Une année où les deux pays fricoteront culturellement, histoire de booster encore d’avantage des échanges commerciaux déjà bien lucratifs…
L’histoire officielle commence le 4 juin 1886, date à laquelle la France et la Corée signent un traité d’amitié, de commerce et de navigation, après avoir essuyé quelques frictions autour d’une sombre histoire de curés français zigouillés. Depuis, nos missionnaires ont cessé de tenter d’imposer le catholicisme à un pays qui n’en voulait pas, et on a pu nous vendre des tas de choses, puisque la Corée du Sud est le troisième partenaire économique de la France en Asie. En 2010, Nicolas Sarkozy annonçait que la France rendrait aux Coréens les ouvrages Uigwe (1) conservés à la BNF, alors qu’en 2007, nous leur prêtions Le Radeau de la Méduse d’Eugène Delacroix pour célébrer le cent vingtième anniversaire des relations franco-coréennes. Dix ans ans plus tard, nous y revoilà : pour fêter cent trente années d’amitié, François Hollande et la présidente Park Geun-hye décident d’organiser une grande manifestation autour des forces vives artistiques de leurs deux pays. Comme quoi, la culture a encore une belle place à jouer dans nos sociétés, celle de faire-valoir et d’ornement d’apparat lors des anniversaires, un peu comme le clown McDonald…
Quant aux Marseillais qui auront fait le déplacement à Séoul, ils auront constaté l’extraordinaire fossé entre les deux pays : des lieux d’art et ateliers d’artistes somptueux d’un côté ; la pauvreté grandissante des structures institutionnelles, la mise en danger des petites structures associatives et les conditions de travail précaires de nos artistes plasticiens (toujours pas dotés d’un véritable statut qui les aiderait à créer avec un peu plus de sérénité) de l’autre. L’année France-Corée aura donc pu mettre en exergue une politique culturelle à deux vitesses et nous rappeler que l’Etat abandonne ses artistes à leur triste sort…
Loin du décorum demeurent pourtant des artistes qui ne sont pas à incriminer et qui nous offrent ici et là quelques belles propositions. L’exposition The thing that you know, I do not want to know à la Compagnie, pour laquelle Paul Emmanuel Odin a convié Rohwajeong et Jihye Park, en est sûrement le plus bel exemple. Rohwajeong est un duo d’artistes, un homme et une femme qui questionnent l’impossible effacement de deux personnes pour ne former qu’une seule et même entité. Leurs échanges et conversations dans le travail comme dans la vie se retrouvent dans chacune des œuvres du duo, pour lequel tout se construit autour de la communication avec l’autre. Leur travail, même s’il relève d’une démarche conceptuelle, n’en demeure pas moins totalement incarné d’histoires, de références personnelles propres à chacun des deux auteurs… En atteste The Thing, panneau brodé reprenant le titre de l’exposition, transformé le soir du vernissage en une boule de faux papier froissé. Les deux artistes auraient tiré sur l’une des cordes du texte pour ramener toute la surface de la bâche à cette boule suspendue qui retient désormais « la chose que tu sais et que je ne veux pas savoir »…
En se déplaçant vers Momentous (installation de chewing-gums dont les emballages révèlent la marcescible beauté des fleurs déjà séchées), le visiteur shootera sûrement dans la boîte de conserve trainant sur le sol, le vacarme l’extirpant alors de la concentration relative à son état de réception esthétique… La question du temps, de l’expérience de la durée, est encore présente dans l’œuvre intitulée Time is disgusting. L’objet va se détériorer, l’image d’un couple va s’altérer, rien ne pourra être préservé…
Dans la mezzanine, le film de Jihye Park The Sisters II nous maintient dans l’état second dans lequel l’exposition nous a plongés. Les images de l’artiste, vaporeuses, au grain presque pictural et aux tons pastels, nous invitent d’emblée à entrer dans la narration de cette jeune fille frêle qui tire un sac apparemment lourd et difficile à mouvoir. Que peut bien contenir ce sac pour imposer un tel fardeau à la jeune fille ? On sait grâce au cinéma coréen que les jeunes filles vêtues de blanc ne semblent jamais aussi cruelles qu’elles ne le sont en réalité… L’hommage à Lars Van Tries rendu par l’artiste met en place une toute autre atmosphère (Breaking the Waves). Un diptyque réunit deux écrans sur lesquels un homme et une femme ne se rencontrent jamais, mais semblent souffrir chacun de leur côté de la séparation qui les afflige. L’un crie et l’autre s’abandonne à un coma de renoncement. Les deux scènes sont rassemblées par un environnement semblable et une lumière qui enveloppe les deux protagonistes, le tout bercé par une musique donnant à l’ensemble une unité de temps. Le regardeur ausculte les deux émanations d’une souffrance provoquée par le même mal : la fin d’une histoire d’amour…
Le programme coréen se poursuit à la Straat Galerie avec encore un duo, formé par Mathieu Julien et Jin Angdoo, qui réalisent des peintures sur demande à partir de milliers de petits dessins compilés dans un recueil relié. Les peintures, abstraites et colorées, sont réalisées sur des cartons aux formes induites par les motifs. Cette réjouissante exposition met en avant le plaisir de s’adonner à une pratique et d’en découvrir d’autres, sans obligation de résultat. Une approche qui remet en question les notions de savoir-faire et de dextérité encore prisées dans l’art et qui autorise toutes les expériences possibles. On pourrait même y voir une tentative de déprolétarisation d’une société qui ne cesse de consentir à la confiscation de ses savoir-faire et à sa pleine conscience du monde…
Enfin, et pour seulement quelques jours encore, Koo Jeong-A occupe le plateau expérimental du FRAC avec quelques dessins, aquarelles et photographies prêtés par sa galerie italienne, et une œuvre acquise en 2001, South. Cette installation précaire, qui détermine « l’espace entre deux choses stables », se présente sous la forme d’une table sur laquelle sont déposés des petits monticules d’une matière friable. Réalisée à partir de matériaux non durables et eux-mêmes résultant de l’altération d’une première forme comme la poussière, le sable, la poudre ou toute autre matière volatile, l’œuvre de Koo Jeong A opère comme le sablier, nous rappelant que nos jours sont comptés…
Céline Ghisleri
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The Thing that you know, I do not want to know : jusqu’au 2/07 à La Compagnie (19 rue Francis de Pressensé, 1er ).
Rens. : 04 91 90 04 26 / www.la-compagnie.org -
Mathieu Julien et Jin Angdoo – Amateurs : jusqu’au 18/06 à la Straat Galerie (17 rue des Bergers, 6e).
Rens. : 06 98 22 10 85 / www.straatgalerie.com -
Koo Jeong-A : jusqu’au 5/06 au FRAC PACA (20, boulevard de Dunkerque, 2e).
Rens. : 04 91 91 27 55 / www.fracpaca.org
Notes
- Les Uigwe sont des protocoles royaux de la dynastie Joseon réclamés par la Corée du Sud depuis la fin des années 70 quand une historienne coréenne a découvert dans le fonds de la BNF ces manuscrits que les Coréens croyaient disparus depuis l’expédition punitive menée par le contre-amiral Roze en 1866 : http://gestion-des-risques-interculturels.com/points-de-vue/pourquoi-la-france-a-restitue-a-la-coree-ses-archives-royales/[↩]