Two Lovers – (USA – 1h50) de James Gray avec Joaquin Phoenix, Gwyneth Paltrow, Vinessa Shaw…
La nuit leur appartient
La surprise est d’autant plus belle qu’on ne l’attendait pas si tôt. Après avoir poli trois diamants de cinéma en treize ans (Little Odessa, The Yards et La Nuit nous appartient), James Gray n’a pris qu’une petite année pour déposer au pied de son spectateur ce superbe Two Lovers. Comme si le désir de faire du cinéma devenait aussi fragile que la marche funambule de Joaquin Phoenix dans les premiers plans du film. Pourtant, jamais la caméra de Gray n’a semblé si apaisée face au renoncement perpétuel qu’elle filme. Two Lovers se joue sur un faux-rythme, attaché au superbe corps de son interprète principal. Omniprésent, à la fois massif et empreint d’une indescriptible fragilité, Joaquin Phoenix offre au film ses plus beaux plans (dans un restaurant chic) et ses plus belles scènes (sur un toit ou sur une piste de danse), ultimes cadeaux au cinéma américain. Ailleurs, cela pourrait suffire, mais il y a bien plus. Le style minéral de Gray atteint ici un accomplissement qui ne laisse pas de nous émerveiller. Two Lovers est hanté par la famille, le deuil et l’héritage comme l’étaient ses précédents films, mais semble apte à les dépasser, à grandir avec. Le brillant balai d’amorces, de masques et de décadrages que le cinéaste orchestre lors d’une des premières séquences sur le toit en constitue un exemple évident ; Gray et ses personnages font désormais face à l’âge adulte, celui où on pleure son innocence dans les bras d’une femme au regard doux (la sublime Vinessa Shaw). De l’amour, Two Lovers ne retient finalement que les détails (une paire de gants, des cicatrices), signes avant-coureurs de l’échec passé ou à venir. L’inestimable beauté classique du film s’en trouve décuplée.
H. V. Bakshi