La compagnie Ma voisine s’appelle Cassandre explore l’esclavage sous la forme d’un conte, en présentant un spectacle de trois séquences où le chaos devient poétique et drôle. Lorsque l’imaginaire n’a plus de limites… (lire la suite)
La compagnie Ma voisine s’appelle Cassandre explore l’esclavage sous la forme d’un conte, en présentant un spectacle de trois séquences où le chaos devient poétique et drôle. Lorsque l’imaginaire n’a plus de limites…
Qu’est-ce qui peut bien motiver un metteur en scène, même très averti, à monter une pièce sur l’esclavage au moment même où le sujet — confusion avec la colonisation aidant — refait surface dans l’actualité ? Une ambition poussée à l’extrême ? La soif absolue de reconnaissance ? Rien de tout ça : seulement l’envie d’évoquer l’Histoire sans jamais la suivre et de « faire bouger les choses, de se débarrasser d’un point de vue figé, de montrer la beauté là où on ne l’attend pas. » Un pari risqué mais réussi pour la jeune compagnie marseillaise Ma voisine s’appelle Cassandre. D’autant que lorsqu’elle élabore son projet en 2003, Nanouk Broche est loin de penser que le thème de l’esclavage redeviendrait si brûlant. « Pourtant, à cette époque, je me souviens que le monde était en plein chaos : la guerre en Irak, la grève des intermittents, les nombreuses manifs à Marseille… Je me suis penchée sur trois textes : Omerod d’Edouard Glissant, Jeanne d’Arc de Nathalie Quintane et Un billet vert d’Amadou Bä et Ibrahima Konaté. Lesquels sont devenus les trois séquences du spectacle qui a vu le jour en 2004. Je me suis dit : il faut agir, raconter des histoires pour que le spectateur imagine l’inconnu de ce monde auquel il est relié. » Ces trois auteurs ont en commun de réinventer le passé par la poésie et la dérision. Concrètement, à peine installé dans la salle (une ancienne écurie), le spectateur s’embarque avec trois acteurs et un musicien pour non pas un, mais plusieurs voyages au cœur d’un montage ludique et théâtral, un beau et cruel itinéraire. Suivez le guide ! La première séquence s’ouvre sur Flore Gaillard, une esclave qui aurait mené, vers 1793, la révolte des Nègres Marrons dans l’île de Sainte-Lucie. Cette femme de chair, qui aimait les hommes dans les plantations, sera livrée aux planteurs, puis brûlée. Tout comme Jeanne d’Arc, héroïne de la seconde séquence, scène qui rappelle son courage lors de la guerre de Cent ans. Ce sont ces deux destins de femmes qui « tracent l’espèce ». Dans la dernière séquence, les acteurs nous emmènent en Afrique. Des enfants de Dakar imaginent leur monde idéal. Paradoxe : eux-mêmes enfants des rues, ils se placent dans une logique d’esclavage. Ils seront les plus forts, exploiteront les plus faibles. Malgré le drame des situations, le propos reste léger, voire drôle : on sourit à l’écoute des phrases créoles du début, on rit franchement avec les acteurs quand ils évoquent la ridicule coupe de cheveux de la pucelle d’Orléans, on se laisse porter par la musique insolite qui vient ponctuer les scènes. Il y a de la poésie, de la surprise, dans ce spectacle. De la vie, quoi…
EB
Jusqu’au 4/03 à la Friche du Panier (96, rue de l’Eveché, 2e). Rens. 04 91 03 69 97