Au Musée d’Art Contemporain, l’artiste hollandaise Marijke van Warmerdam expose un univers où le temps est partagé entre mouvements circulaires et arrêts en suspension, à l’image d’une boule de cristal dans laquelle on regarderait le passé et le futur confondus. Rêve éveillé ou détour ésotérique ? (lire la suite)
Au Musée d’Art Contemporain, l’artiste hollandaise Marijke van Warmerdam expose un univers où le temps est partagé entre mouvements circulaires et arrêts en suspension, à l’image d’une boule de cristal dans laquelle on regarderait le passé et le futur confondus. Rêve éveillé ou détour ésotérique ?
C’est l’été. On traverse à vélo une de ces routes qui se déroulent infiniment dans la campagne hollandaise. Soudain, la caméra monte dans les airs et nous fait survoler les maisons et les arbres dans des mouvements tournoyants de plus en plus vertigineux, jusqu’à ce qu’on retouche le sol, comme si de rien n’était (En roue libre). Loin de cette linéarité, il faudra attendre pour comprendre notre étourdissement et fermer la boucle, car aucun film de l’artiste Marijke van Warmerdam n’a de début et de fin. Il est souvent question de temporalité dans son travail, qui conjugue mouvements circulaires et arrêts en suspension. Plusieurs photos donnent ainsi à voir des objets en gravitation : dans Attrapez !, il est difficile de discerner si les mains d’un enfant attrapent ou viennent de lancer un ballon coloré, suspendu dans un paysage brumeux, aussi immobile que l’énorme lune derrière les arbres. Cette même lune, qui, en lévitation dans le vide d’une cuisine, devient un « objet domestique à échelle cosmique »… à moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’une crêpe lancée en l’air ? Par l’intermédiaire de déplacements d’échelle et de sauts impromptus dans l’espace, ces objets solitaires qui nient la gravitation donnent parfois l’impression d’être les accessoires d’un magicien : sur une photo, l’artiste donne sa vision du geste artistique — le couple saugrenu que forment un marteau et une baguette magique d’enfant (Idéaux) —, soumettant le réel à la logique des songes. Dès l’entrée, des images de tasses de café, placées sur les deux côtés de panneaux mobiles, proposent un changement de rythme (Take a long break !) et perturbent la perception par un jeu de désaccords entre les images, jamais toutes visibles à la fois. Une invitation à une pause prolongée dans un film où l’on regarde par la fenêtre la neige tomber à côté d’une tasse de café (Remuer dans le lointain), sorte de voyage immobile qui fait écho à un autre film, dans lequel un jeune garçon dans un lac regarde le dos tourné vers un point de fuite imaginaire (Clairière). Une immobilité qui installe un mouvement intérieur, « un temps sans avant, sans maintenant, sans après, où le souvenir et l’attente convergent » (Julia Kristeva). Projetés en boucle, ses films font écho au titre de l’exposition Ici et d’ici peu, qui réunit les notions de lieu présent et d’attente, pour « regarder en avant ». Il s’en dégage, malgré tout, une certaine naïveté contemplative, qui frôle la sentimentalisme kitsch — des branches de magnolias photographiées à différents stades de floraison (Soon, Coming up soon, Now) cherchent à évoquer la fugacité des choses à travers l’allégorie des saisons… Plus troublant dans sa façon de donner à voir la répétition et la transformation perpétuelle est sans doute le film Prévision Météorologique, où une baignoire placée au centre d’une pièce rouge déborde sous une pluie de plus en plus torrentielle, à travers un cycle de répétitions infinies traversées par les changements climatiques — une atmosphère à la fois proche du surréalisme de Magritte et d’un film noir série B. Cette alternance circulaire entre plein et vide apparaît sous sa forme la plus élémentaire et magique dans Au Passage, une projection cinéma sur un petit morceau de papier où un carré blanc surgit au milieu de l’écran jusqu’à le remplir, remplacé ensuite par un carré noir. Un dispositif cinétique dont la répétition crée un effet de profondeur immatérielle, rappelant autant les films des avant-gardes des années 20 que les visées spirituelles du carré noir sur fond blanc de Malevitch. Avec Spirality, l’artiste fait d’ailleurs référence à la métaphysique : sur une spirale en noir sur blanc imprimée sur une peau de vache gît un globe oculaire, traversé d’une certaine ironie psychédélique. Certaines pièces lorgnent pourtant du côté d’un ésotérisme un peu mièvre (Présence d’esprits, Vie et après-vie…), tandis que d’autres nous plongent dans une douceur édulcorée — le thème du mariage mis en parallèle avec des boîtes de papillons… L’artiste réussit mieux à interroger les mécanismes de la perception avec Paysage à coulisse, un panorama des Alpes, présenté selon le principe d’un panneau publicitaire plissé, qui offre une vue d’été ou d’hiver selon le point d’observation. A leur point culminant, ses œuvres doublent le regard que l’on porte sur le réel, bousculant la vision univoque d’un paysage immobile. Marijke von Warmerdam parvient alors à transgresser les oppositions binaires, associant plusieurs angles de vue de façon simultanée et non selon des ordres qui s’excluent.
Pedro Morais
Jusqu’au 28/05 au Mac. Rens. 04 91 25 01 07