Une expérience sur les rats prouve que l’air de Fos-sur-Mer rend malade
Une chercheuse du CNRS, Sylvia Pietri, mène une étude inédite sur les effets des polluants de Fos-sur-Mer sur la santé : elle fait respirer à des rats un air mimant celui de la ville, à raison d’une heure par jour pendant six mois. Le résultat est sans appel : 80 % des animaux développent des maladies cardio-vasculaires et du diabète à l’issue de l’expérience.
Sur le flacon, on peut lire : « Polluants Fos ». Un tube connecte ce flacon à une cage en verre, où une vingtaine de rats vont et viennent. Une fois le mécanisme déclenché, une fumée blanchâtre se diffuse dans la cage : la solution du flacon est transformée en « aérosol », l’atmosphère que les rats vont inhaler pendant une heure. Un traitement auquel ils sont soumis une fois par jour pendant six mois, « ce qui représente environ un quart de la vie des rats, puisqu’ils vivent deux ans en moyenne », précise Sylvia Pietri, directrice de recherche de l’Institut de chimie radicalaire, rattaché au CNRS et à l’Université d’Aix-Marseille.
La chercheuse, qui travaille depuis une dizaine d’années sur les conséquences de la pollution de l’air sur la santé, fait partie du conseil scientifique de l’Institut écocitoyen, créé en 2010 à Fos-sur-Mer pour étudier les polluants présents dans la zone industrielle. C’est en lien avec les scientifiques de cet institut qu’elle a initié cette expérience il y a un peu plus de trois ans.
« Je me suis basée sur les mesures faites par l’Institut écocitoyen à Fos pour établir cette solution de polluants. On y trouve les hydrocarbures issus des raffineries, des produits de combustion comme les méthoxyphénols, d’autres issus de la sidérurgie, comme la dioxine, le benzène, le nitro-1 pyrène, qui sont déjà reconnus comme dangereux pour la santé, cancérigènes pour certains », explique-t-elle.
Épaulée par une équipe pluridisciplinaire dans son laboratoire de la faculté de Saint-Jérôme (13e), Sylvia Pietri a ensuite élaboré une méthode pour transformer la solution liquide en aérosol de particules stables, ce qui est techniquement difficile. « Il y a eu plusieurs études jusqu’à maintenant sur la pollution de l’air, notamment au Canada et aux États-Unis, mais à chaque fois les polluants étaient injectés ou mélangés à la nourriture des rats, ce qui ne correspond pas à la réalité des personnes qui vivent près des usines. C’est la première fois qu’une méthode d’inhalation spontanée et non invasive est réalisée sur des animaux. »
Artères bouchées et intolérance l’insuline
Grâce à ce modèle inédit, l’équipe de Sylvia Pietri reproduit plus fidèlement les conditions de « contamination » des habitants des zones industrielles. C’est en effet via les poumons que les particules fines et ultra-fines, issues majoritairement des activités des usines, pénètrent dans le corps. « Ces particules qui sont inférieures à 2,5 microns sont capables de franchir les alvéoles pulmonaires et de rentrer dans les vaisseaux sanguins. Elles provoquent des réactions inflammatoires, parce que ce sont des corps étrangers : l’organisme va se défendre par le biais des globules blancs en créant des inflammations chroniques », décrit la chercheuse.
Résultat : après trois mois, les rats exposés à l’air de Fos commencent à développer une intolérance au glucose et des dysfonctionnements cardiaques. « Au bout de six mois, 80 % des rats ont des problèmes cardio-vasculaires et du diabète, souligne Sylvia Pietri. Puis nous voyons apparaître des dysfonctionnements au niveau du foie, du cerveau… qui peuvent ensuite déboucher sur des cancers. C’est alors la nature des polluants qui est en cause, plus seulement l’accumulation de particules dans les artères et vaisseaux. » La chercheuse précise aussi que plus les rats ont été exposés jeunes, plus les maladies se développent de manière virulente. Et elle insiste sur le fait que les animaux utilisés pour son expérience ne respirent la pollution de Fos qu’une heure par jour, alors que les habitants de la ville, enfants compris, y sont soumis en permanence.
Effet cocktail
Cette étude inédite, qui constitue une nouvelle preuve de la nocivité de « l’effet cocktail » des pollutions du pourtour de l’étang de Berre, doit faire bientôt l’objet d’une publication dans une revue scientifique. Elle apporte une nouvelle pierre dans l’argumentaire des associations et riverains de la zone, qui ont déposé une plainte contre X en novembre dernier pour « mise en danger de la vie d’autrui ». « Le problème, c’est vraiment le cumul : pendant des années les toxicologues ont dit que tout allait bien parce que chaque produit, mesuré séparément, ne dépassait pas le seuil autorisé. Mais la combinaison des polluants n’est pas prise en compte, et dans notre expérience, on voit que c’est aussi ça qui est très dangereux. »
Sylvia Pietri sait que l’Agence régionale de santé a critiqué la méthodologie de l’étude Fos-Epseal. Menée par une équipe pluri-disciplinaire, cette enquête avait révélé il y a deux ans que les habitants de Fos et Port-Saint-Louis-du-Rhône avaient deux fois plus de cancers, plus de maladies cardio-vasculaires ou auto-immunes, plus de diabète et d’asthme que la moyenne nationale. Cette fois, elle ne voit pas comment l’institution pourrait contester ses recherches sur l’air de Fos. « Je suis prête à m’entretenir avec les représentants de l’État qui me diraient “votre protocole n’est pas rigoureux” ! »
Les particules ultra-fines en question
Tout est une histoire de quelques microns : les particules fines sont d’un diamètre inférieur à 10 microns, tandis que les particules ultra-fines sont inférieures à 2,5 microns (à titre de comparaison, l’épaisseur d’un cheveu est d’environ 70 microns). Les premières peuvent parvenir jusqu’aux bronches, tandis que les secondes, qui n’ont quasiment pas de masse, sont capables de traverser la barrière entre les alvéoles pulmonaires et les vaisseaux sanguins, et peuvent ainsi provoquer beaucoup plus de dégâts dans le corps humain.
Or, la réglementation européenne en matière de pollution de l’air oblige à mesurer les premières, pas les secondes. D’après les relevés réalisés par l’Institut écocitoyen à Fos, les particules ultra-fines, produites en grande partie par l’industrie, composent pourtant la majorité de l’atmosphère de la ville. Mais l’organisme en charge du contrôle de la qualité de l’air, Atmosud, n’a pas d’appareil de mesure pour les « compter » à Fos. Les alertes aux particules ne sont ainsi pas plus nombreuses à Fos qu’à Marseille ou Aix.
Nina Hubinet
Le documentaire Fos, les fumées du silence, de Nina Hubinet et Pierre-Jean Perrin a été diffusé sur France 3 le lundi 4 février et est disponible en replay sur le site de la chaîne.