Une valise en carton… Ou disons plutôt une malle élastique, géante, aussi grande qu’un chapiteau de paille, avec dedans plein de chapeaux chahuteurs, de papillons flûtistes et de cors animés qui diaprent, avec une fantasque glose musicale, l’âme soudain redevenue enfantine de ceux qui regardent, émerveillés, l’auguste spectacle que propose la folâtre troupe des Nouveaux Nez… (lire la suite)
Une valise en carton… Ou disons plutôt une malle élastique, géante, aussi grande qu’un chapiteau de paille, avec dedans plein de chapeaux chahuteurs, de papillons flûtistes et de cors animés qui diaprent, avec une fantasque glose musicale, l’âme soudain redevenue enfantine de ceux qui regardent, émerveillés, l’auguste spectacle que propose la folâtre troupe des Nouveaux Nez…
Quand on passe les rideaux de velours rouge et qu’on met les pieds sur la piste pour aller s’asseoir sur les bancs de bois, quand tout s’affaire autour de soi sans que l’on sache si les numéros ont commencé ou non, on sent que quelque chose d’inhabituel hante les rangées où sont réunis petits et grands. Des sentiments de joie espiègle, de plaisir simple et d’enchantement puéril font surface, sans forcer, tout doucement. Monsieur Loyal, Madame Françoise, Georges Pétard et leurs amis ouvrent en nous des portes dissimulées, se promènent dans nos couloirs peu resplendissants. Leurs sottises, leurs calembours et surtout leur humour donnent vite le ton (« le thon », dirait Madame Françoise). Les précautionneux, ceux qui ne veulent jamais prendre des vessies pour des lanternes ou qui supposent que le haut et le bas ne s’inversent pas vont vite changer leur tromblon d’épaule… Le tourbillon d’acrobaties, le flux et le reflux d’une marée galopante de délices burlesques, le bordel organisé dans lequel dansent et virevoltent des suffragettes balayeuses, des barbus à la hache facile, des cyclistes et des trompettes folles, le bazar aléatoire des excès de ces équilibristes étincelants nous donnent singulièrement l’impression que la vie est mélodieuse. Impression enivrante…
Au-delà de ce narcissique plaisir d’être bien, c’est un travail de quinze années qui défile. Un travail superbement approfondi et majestueusement coordonné. Et humble. Car de l’humilité, il en faut pour marcher sur un fil, pour cultiver une imagination de clown, pour faire rire avec des outils séculaires qui, à l’ère du tout numérique, pourraient ne plus surprendre. On ne compte d’ailleurs plus le temps chez ces bateleurs-là, impossible d’évaluer si cette embellie a duré sept minutes ou des lustres. Les lustres, la lumière et on repart… Une autre séquence nous appelle, celle du trampoline puis celle de la catapulte, celle des poursuites en vélo… L’enchaînement (mot presque péjoratif ici tant l’esprit est libre chez les Nouveaux Nez) glisse aisément, naturellement, d’une saynète à une autre, d’une illusion vers une autre, plus astucieuse encore. Rien n’est poussif, ni les rires, ni les applaudissements, ni la connivence des « acteurs » et du public. En fait, on tourne en rond mais, pour une fois, on en est contents.
Les artistes qui peuplent ce « cirque » entretiennent avec subtilité et justesse les lieux communs qui appartiennent à leur discipline. Les oppositions routinières (le serviteur dominé est un brin moins malin que le dominant), l’extravagance des sentiments (l’enchantement, la déconvenue, la peur…), les physiques qui collent parfaitement au caractère de chacun (le naïf est maigre et porte des lunettes, le rustre a un regard d’acier…) n’ôtent rien à la réelle qualité de cette fantaisie enluminée. A vrai dire, il eût même été dommage que ces accessoires empreints d’une symbolique carnavalesque forte soient absents. La compagnie des Nouveaux Nez a su refondre, avec perspicacité et dans une orchestration débordante et expressive, l’homme-clown en clown-homme. Un concept hypothétique auquel les étoiles filantes, les bouées de sauvetage et les garçons de piste tiennent beaucoup… On en reparlera à la prochaine éternité.
Aussi, vu la capacité qu’ont les clowns à fournir des doses de « bonheur », on se dit qu’ils devraient manifester dans les rues et que tout serait plus simple. Quelques baladins en chaussettes trop larges, aux nez rougis et ivres de facéties martelant, sur des pavés trop tristes, l’avènement d’un nouveau CPE (le Clown Promoteur d’Euphorie), voilà la solution…
Texte : Lionel Vicari
Photo : P. Cibil
Le Cirque des Nouveaux Nez. Jusqu’au 29/04 au J4, Espace Saint-Jean. Rens. 04 96 11 04 61