Liberté d’expression : En faire tout un fromage (Mozart vs Salieri)
La scène se passe à Vienne en 1783. Attendu depuis un an par Joseph II, qui lui avait demandé de composer un opéra, L’Enlèvement au sérail, Wolfgang Amadeus Mozart débarque enfin à la cour de l’empereur mélomane afin de lui faire écouter quelques gammes de douceur dans un monde de brutes. A l’annonce de l’arrivée du prodigieux compositeur autrichien, Joseph II, ne tenant plus en place et criant tout son soûl « Mozart est là, Mozart est là… », invite Antonio Salieri, dit « le Rital fourbe » — charmant surnom que récupérera bien plus tard un certain Marco Materazzi après une sombre histoire de coup de boule — à venir saluer et écouter son « meilleur ennemi ». Jaloux comme un pou, Salieri lâche alors cette fameuse réplique en forme de calembour énorme pour l’époque où l’on se marrait pas si souvent et qui fit couler beaucoup d’encre (à ne pas confondre avec l’ancre, même si c’était le genre de gars à vous mener en bateau) : « Mozart est là, peut-être, mais n’en faites pas tout un fromage ». Son effet râpé — le jeu de mot de l’aigri Transalpin, tout comme son œuvre, fut reconnu a posteriori —, Salieri se résout à aller écouter l’enchanteur en chef. Que faut-il donc retenir de cette saillie vieille de trois siècles mais riche en calcium ? Tout d’abord, que Salieri avait un humour de merde. Ensuite, qu’il ne pouvait vraiment pas blairer Mozart. Enfin, qu’il préférait boire du petit-lait plutôt que d’apprécier un grand fromage, aliment auquel il était vraisemblablement allergique. Excepté le gruyère, seul produit laitier dont il tomba amoureux lors d’un séjour dans le canton de Berne. C’est ce qui s’appelle avoir de la Suisse dans les idées (noires).
Henri Seard