Ventilo se déchire / DANS LA PEAU DE JACQUES CHIRAC
Les reproches faits par bon nombre de critiques sur le manque d’analyse du vrai/faux documentaire de Karl Zéro semblent assez injustifiés. Un manque d’analyse de quoi lui reproche-t-on au juste… (lire la suite)
DANS LA PEAU DE JACQUES CHIRAC – Documentaire (France – 1h30) de Michel Royer & Karl Zéro
Ouvre les yeux
Les reproches faits par bon nombre de critiques sur le manque d’analyse du vrai/faux documentaire de Karl Zéro semblent assez injustifiés. Un manque d’analyse de quoi lui reproche-t-on au juste ? Parce que, concrètement, voir défiler, pendant une heure trente, presque quarante ans de la trop longue vie politique de Jacques Chirac est suffisamment édifiant pour se passer d’un rajout d’analyse quelconque qui viendrait sûrement alourdir le spectacle obscène qui se présente à nos yeux. De propos fallacieux en discours trompeurs, de boniments cabotins en périphrases vides, Chirac se fait son propre porte-parole, son propre analyste et son propre bourreau. Il provoque en nous un tel dégoût, une telle nausée, que l’on se sent humilié d’avoir à la tête de son pays, même s’il est en déliquescence absolue, un chef d’Etat pareil. Son incompétence et son incapacité à gouverner sont proches de celle d’un Caligula. Serrer des mains, parler de la Corrèze, se contredire, n’avoir dans son sac que des tours de magie dangereux qui mettent en place d’autres pions encore plus dangereux, être incapable d’avoir autre chose à glorifier que le mot « démocratie » sans en respecter le quart du sens, même lors de l’entre-deux tours 2002… Voilà ce qu’est cet homme. Mais le plus consternant dans tout cela, c’est que nous l’avons élu… puis réélu, faute de mieux. Douze ans en tout. Douze ans de dégradations en tout genre, pire que son prédécesseur gauche-caviar qui, pourtant, avait déjà atteint des sommets. Qu’avons-nous donc en tête ? Sommes-nous oublieux ? Sommes-nous si peu soucieux de notre devenir pour laisser se gangrener à ce point une République qui, rappelons-le quitte à paraître crâneur, « appartient au peuple » ? Alors effectivement, on peut désapprouver les méthodes de Karl Zéro, on peut réprouver son film, le blâmer pour x considérations, on ne peut néanmoins pas le taxer d’inutile ou de dérisoire. Et en ces temps d’urgences populaires et de musellement d’une partie des médias par ces mêmes autorités étatiques, Dans la peau de Jacques Chirac a l’avantage d’exister et doit être vu.
Lionel Vicari
La geste pathétique
Après l’anachronique effervescence cannoise, le critique mal remis de sa gueule de bois peut trouver judicieux de replonger dans l’actualité récente, histoire de se rassurer un peu en constatant que, bon gré mal gré, rien n’a changé et qu’il reste quand même des choses immuables dans ce monde comme l’incurie des ministres à talonnettes ou le prix de la botte de poireaux sur les marchés de province. Encore faut-il que le projet se révèle assez stimulant pour aiguiser le sens critique. Or, c’est un peu le problème de Dans la peau de Jacques Chirac : un film lisse, parfois drôle et qui manque singulièrement de cette percussion qui fait les authentiques films politiques.
Dans la peau de Jacques Chirac est un portrait décalé, un documentaire « marrant » comme le définit un de ses auteurs, qui prend prétexte de la figure du Président et de sa voix pour s’emparer d’une carrière politique et du corps qui l’incarne. C’est d’ailleurs dans cette manière de mettre en scène l’allure, les gestes et les mimiques de la carcasse présidentielle que réside le seul intérêt du film et d’où jaillissent ses rares moments de grâce. On reconnaît bien là la patte de Michel Royer, archiviste précis des médias, déjà remarqué pour son œuvre télévisuelle passionnante, à la fois frivole et réfléchie. L’auteur aime traquer dans les images d’archives les petits gestes, les sourires ou les respirations qui trahissent le débordement du corps sur la pensée et égratignent progressivement l’enveloppe médiatique du personnage. Ainsi, le discours de Chirac est souvent parasité par ces moments réjouissants où le grand échalas éprouve le plus grand mal à se situer devant l’objectif.
La médaille a ses revers : à trop vouloir traquer Jacques, on perd de vue Chirac et la bombe supposée se désamorce en silence. Ce ne sont pas les jeux de mots foireux ou les sentences délivrées dans le commentaire (sans doute la patte, nettement moins brillante, du duo Karl Zéro/Zemmour) qui arrangent le coup ; l’analyse politique reste souvent au niveau du lieu commun (Chirac voleur, Chirac cynique, etc.) sans jamais apporter ce supplément d’âme qui en ferait autre chose qu’une collection d’instants plus ou moins intéressants. Chirac apparaît alors tel que nous le connaissons déjà : un animal politique carnassier, le produit du déclin de l’idéal démocratique. Ses métamorphoses maladroites, son invraisemblable corps de cinéma étaient nettement plus intéressants et c’est ce portrait-là, trop brièvement esquissé, qu’il reste à faire. La geste pathétique d’un Président, en somme.
Romain Carlioz