Vies d’ordures. De l’économie des déchets au Mucem
Assez déchets !
Les ordures repoussent alors même que nous les produisons ; ce qui engage notre responsabilité. Ouvrir cette conscience écologique passe par l’éducation parentale, l’école, mais aussi par l’art. La preuve avec Vies d’ordures, une exposition recyclable à l’infini.
Une fois entré dans ces Vies d’ordures, le visiteur commence par observer des sacs poubelle qui se gonflent et se dégonflent contre le mur. S’agit-il d’un clin d’œil à la nature organique d’une partie des déchets ou au fait qu’ils n’existent pas sans l’homme qui respire ? L’habit, ou plutôt la fripe, ne fait pas le moine puisque cette œuvre à l’accueil est une introduction artistique à un parcours plutôt ethnographique. Avant même d’entrer dans le vif du sujet, nous sommes questionnés sur le concept même d’exposition. Pour s’étonner, apprendre et réfléchir, un parcours au milieu d’œuvres d’art n’est pas l’unique moyen. Car prendre (et faire) connaissance, c’est aussi se cultiver.
Trois ans d’enquêtes autour de la Méditerranée, et de travail avec des chercheurs, photographes et vidéastes, auront été nécessaires pour aboutir à cette exposition et ses plus de quatre cent cinquante documents.
Chaque section se succède en progressant dans la vie du déchet, et donc dans la nôtre. Tout comme le verbe structure le langage et l’homme, il définit le déchet : produire, emballer, jeter, ramasser, collecter, transporter, stocker, trier, réemployer, réduire, recycler, exporter, enfouir, incinérer. En résumé, il naît et évolue comme nous. Une différence de taille existe cependant car, selon sa nature, il ne meurt pas sur le même horizon. Quelques centaines de milliers d’années séparent ainsi le déchet organique du déchet radioactif.
On jette les ordures car on ne veut pas les voir. Elles sont pourtant bien là et les nommer, les mesurer, les classer, permet de mieux s’en rendre compte. Le code de l’environnement distingue près de six cents types de déchets différents. En France, 1,4 kg de déchets sont en moyenne produits par jour et par habitant ; soit, en Europe, entre les 0,8 kg de la Serbie et les 2,1 kg du Danemark. Nous ne sommes pas égaux devant le déchet, comme le confirment d’autres statistiques : 2 % d’entre eux sont mis en décharge en Allemagne, contre 80 % en Grèce ou en Bulgarie et, pour les organiques, il y a en a deux fois plus sur la rive Sud de la Méditerranée que sur la rive Nord.
On devine que le déchet est aussi une affaire de volonté politique, d’engagement citoyen, et qu’il témoigne de l’évolution du capitalisme et des inégalités qu’il peut générer. D’une part, sa production en masse est surtout intervenue avec l’apparition du plastique et des emballages jetables. Cette rupture est mise en évidence par une salle où se regardent des sacs plastiques de nombreuses marques encadrés au mur, et des objets qui étaient plutôt réparés que jetés par le passé. D’autre part, de nombreux métiers associés au ramassage du déchet (chiffonnier, ramasseur de bouts de cigares, ferrailleur…) se sont curieusement déplacés avec le temps des pays riches vers les pays pauvres. Ce que les mieux lotis ne veulent pas faire, d’autres le feront pour eux. Objet de répulsion, synonyme d’efforts pour se déplacer jusqu’à la poubelle pour certains, il est source de travail et de revenu pour d’autres.
Quand la Chine est le premier receveur de déchets plastique et papier dans le monde, cette place est occupée par la Turquie pour le fer, et le Pakistan pour le textile usager. L’évidence incitera à ne pas lister les exportateurs nets de déchets…
Pour autant, le déchet produit également de l’art, tels ces vases en pneus ou ces lingots d’aluminium fabriqués à partir de cannettes. Les ordures ont leur revanche et leur cheval de Troie. Méprisées hier, elles sont rachetées aujourd’hui sous une autre forme et réintègrent ainsi nos maisons sans que l’on ne s’en rende forcément compte.
Passé le dégoût devant l’ampleur des déchets dans le monde, et les mauvais gestes qui conduisent à retrouver des vélos dans le Vieux-Port… Passé l’étonnement devant d’anciennes traditions de réparation comme lutte naturelle contre le gaspillage… Passée l’admiration devant l’ingéniosité artistique et commerciale d’artisans de la réincarnation du déchet… Vient maintenant le temps du militantisme citoyen et associatif face au scandale de déchets toxiques et radioactifs jetés en mer ou sous terre. Ce que l’homme a fait, ne peut-il pas le défaire ? Intrigués à l’entrée de l’exposition, nous en ressortons plus cultivés mais aussi admiratifs de ceux et celles qui se battent pour une conscience écologique globale. Nous sommes également plus conscients des petits gestes de la vie quotidienne qui pourraient bien réparer la planète.
Guillaume Arias
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Vies d’ordures. De l’économie des déchets : jusqu’au 14/08 au Mucem (7 promenade Robert Laffont, 2e).
Rens. : 04 84 35 13 13 / www.mucem.org/ -
Nuit vernie Vies d’ordures avec Borderline, Courant d’art et Aix-Marseille Université : le 31/03 de 19h à 1h. Gratuit !
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