Voyages en solitaire(s) au Théâtre de Lenche
« Je » de miroirs
Brutal mais poétique, intime mais universel, le monologue n’en a pas fini de dévoiler l’âme humaine. Pour la première édition du festival Voyages en solitaire(s), ces « je » multiples, parfois contradictoires, s’exposent au Théâtre de Lenche et à la Friche du Panier.
Qu’il soit simple procédé littéraire ou genre total, le monologue est une parole sans ambages. Un discours où le mensonge n’est plus, sauf peut-être celui que l’on se fait à soi-même, et où seule la vérité de l’être réside. A travers huit pièces et autant d’histoires différentes, il balaye ici les classes sociales, les cultures, les sociétés, pour finalement revenir à l’essentiel, à ce qui fait exister l’homme en tant qu’homme. Ça percute. « L’acteur livre en direct ses sentiments. On est touché parce que ça nous renvoie à notre propre humanité, explique Ivan Romeuf, qui est à l’origine de la manifestation. A l’intérieur, chacun retrouve des parcelles de lui-même. C’est là que le monologue trouve sa force. » Quant au choix de la programmation, « elle est très personnelle, mais tous les spectacles trouvent leur point d’ancrage dans la solitude, retrace le directeur artistique. Je voulais en faire un festival pour que les monologues soient en dialogue les uns avec les autres, se répondent et se fassent écho. » Entre la forme interrogative proposée dans La Robe rouge (qui questionne, entre autres, les problèmes de communication au sein d’un couple), et celle, parfois chantée, de Dies Irae, reprise d’Andreiev par Guillaume Cantillon (dans laquelle un prisonnier sicilien retrouve un cours instant sa liberté), cette forme théâtrale donne à voir l’intériorité avec violence, dans sa beauté ou sa noirceur. Le décor est souvent minimaliste. L’espace vide en accentue l’effet.
Connu pour sa collaboration avec François Cervantes, Stéphan Pastor touche, lui, à une souffrance des plus profondes avec sa création La Nuit de Domino. La perte de l’être cher, certains la vivent, d’autres la redoutent. Ici, l’écriture la transcende. Toujours est-il que l’homme se met à nu. Le public aussi. « Entre le gouffre et le désir de vie », il plonge en même temps que le personnage dans les recoins de son âme. Puissant, le « je » cloue d’émotion. Pendant un instant, il se reconnaît en l’autre, il ressent ces sentiments qui se croisent, s’entrechoquent dans un va-et-vient constant. Un discours étrange s’installe, de solitude à solitude. « Celle de Lars Norén va l’amener au meurtre, celle de Mary va se répercuter dans sa folie schizophrène. Chez Benghettaf, elle va résider dans l’histoire banale d’un homme, alors que la guerre civile rage dehors », détaille Ivan Romeuf, cette fois sous la casquette du metteur en scène de Matins de quiétude. Souvent cathartiques, ces témoignages personnels confrontent le public à sa propre nature, à la fragilité de l’existence, à l’amour. Voilà tout l’intérêt de ce voyage psychique.
Camille Izarn