White Material (France – 1h42) de Claire Denis avec Isabelle Huppert, Isaach de Bankolé, Christophe Lambert…
Claire obscure
Cinéaste des corps (Beau travail), de la peau (J’ai pas sommeil), de la chair (Trouble every day), Claire Denis a toujours eu le regard immanquablement tourné vers l’Afrique, terre d’accueil de ses premières années de vie. C’est dans un pays imaginaire du continent, en proie à la guerre civile, qu’elle plonge son héroïne, cultivatrice de café bien décidée à entrer, elle aussi, en résistance, dans le seul but, un brin obsessionnel, de sauver sa récolte. Là encore, la cinéaste s’attarde sur ce corps en panique, brin de paille blonde pris dans la tourmente — une Isabelle Huppert décharnée, qui rompt parfois (les moments d’absence dans le regard), mais ne plie pas. Un personnage déterminé jusqu’au paroxysme — comme sait parfaitement en construire la réalisatrice —, allant jusqu’à la destruction irrémédiable de son entourage. La structure même de la dramaturgie est ainsi saisissante, par sa fulgurance et son radicalisme, par l’intelligent mélange des contradictions. Une puissance qui pourtant, tout au long du film, ne cesse étrangement de se délayer, pour laisser au générique de fin ce goût d’inachevé. Car Claire Denis se révèle ici curieusement brouillonne dans sa mise en scène. Malgré une volonté affichée d’épure dans le traitement, le mélange des genres ne fonctionne pas toujours. Entre un constat quasi-politique d’une nation dévastée, laissée exsangue par l’exploitation blanche, une évidente volonté de s’attarder sur la contemplation panthéiste des paysages, un imbroglio familial inutile voire bâclé, ou un choix de casting pas franchement pertinent, la cinéaste ne se relève pas toujours de ce grand écart scénaristique, l’un des grands points faibles de son cinéma, pourtant éclairé. En abandonnant le micro pour le macro, la réalisatrice a alors recours aux ficelles narratives les moins heureuses, tels ces flash-back inutiles qui effritent la puissance du propos. Claire Denis, pourtant magistrale dans sa direction d’acteurs, n’est également pas parvenue cette fois-ci à abattre le maniérisme récurrent qui semble polluer le jeu d’Isabelle Huppert depuis quelques années. Reste un film d’ébène, peut-être mal taillé, mais obscur à souhait, dans l’étrange perversion qui soude ses personnages jusqu’au désastre.
EV