Yes! Trio à l’U.percut Jazzclub

L’affaire Oui! Trio

 

On parle à leur sujet de « Nouvelle garde éclatante du jazz ». La venue du Yes! Trio pour deux soirées et une master-class à l’U.percut devrait laisser le public du club de la rue Sainte KO debout, tant le jazz qu’il délivre ne manque pas de sensations plus que riches en émotions.

 

Encore un trio de jazz, mais quel trio ! Gageons que ces trois-là ont dépassé les codes du genre qu’avaient établis, aux côtés de leurs immenses partenaires contrebassistes et batteurs, les Ahmad Jamal et autres Bill Evans. À cour, le batteur, dont la gestuelle et la palette de sons est entendue par le pianiste ; à jardin, le dos tourné à ses partenaires, le pianiste, oreilles plus qu’ouvertes, cœur attentif. Au centre, le contrebassiste, en contact visuel et auditif avec le batteur, mais aussi à même d’apercevoir les mouvements mélodiques et rythmiques de la main gauche du pianiste. Pour autant, le trio adoptera-t-il cette disposition, tant elle est dédiée à la suprématie du pianiste ? Alors qu’eux, vieux compères d’études musicales dans les plus prestigieuses écoles de jazz étatsuniennes, n’ont qu’une envie : s’amuser entre eux et avec le public. Avec les plus beaux langages du jazz.

Avouons que ces trois-là les connaissent, les idiomes des notes bleues ! Le batteur, Ali Jackson, élève des légendaires Max Roach et Elvin Jones, a tenu les fûts auprès de la fine fleur des jazz(wo)men contemporains, tant dans une optique « traditionnelle » auprès d’un Wynton Marsalis que dans une quête « moderne » auprès de Joshua Redman. Faisant fructifier son sens profondément enraciné de la soul (ce n’est pas pour rien qu’Aretha Franklin l’avait embauché), il n’en pouvait que se targuer de pédagogie, ce qui est d’excellent augure pour sa venue à Marseille, puisqu’il animera une master-class dans le club même, en matinée. Sûr que son compère pianiste Aaron Goldberg est nanti de dispositions similaires, nonobstant les différences sociales (le précédent venant du prolétariat noir de Brooklyn, lui venant de la bourgeoisie juive bostonienne) : militant d’un « jazz de l’instant » (et donc de l’instinct), ce monsieur est salué par le magazine DownBeat pour « l’esprit vif de ses réflexes harmoniques, la fluidité de sa ligne harmonique, son sens de la logique narrative. » Il s’est fait un nom comme l’un pianistes de jazz les plus convaincants d’aujourd’hui, que ce soit dans son travail de leader ou pour ses fréquentes collaborations (dont Joshua Redman et Wynton Marsalis, tiens donc).

Quant au « pivot » du trio, le contrebassiste Omer Avital, surnommé le « Mingus israélien » (son joyeux dernier album, Qantar, en est la preuve), il n’est rien de moins que l’un des plus grands musiciens de la planète jazz à l’heure actuelle. Le fait qu’il ait franchi la frontière américaine avec son collègue d’instrument Avishai Cohen (le bassiste, pas le trompettiste, bien qu’il joue régulièrement avec ce dernier) au début des années quatre-vingts dix, en quête de l’authenticité du swing new-yorkais, ne l’a pas empêché de bonifier ses racines orientales. Né en Israël, d’un père marocain et d’une mère yéménite, il synthétise ses univers d’origine et d’accueil dans un chant à la poésie insondable. Et gageons que, nanti d’un patrimoine mizrahim (des juifs d’Orient), à l’en croire longtemps méprisé au sein de la société israélienne du fait des porosités qu’il entretient, par la force des choses, avec la culture arabe, le glissement d’Israël vers un « ethno-État » lui est tout bonnement insupportable. Pour sortir un jeu aussi tellurique des quatre cordes de sa grand-mère, son aspiration à la paix s’impose comme une évidence.

Ainsi, revendiquant la tradition du jazz américain autant que la richesse de son métissage (issu de leur propre diversité : un noir américain aux racines musulmanes, un Israélien yéménite/marocain, et un juif de Boston !), le Yes! Trio, formé lors de jam-sessions au légendaire club new-yorkais Small’s, est un condensé réjouissant et virtuose de couleurs et de bonne humeur ! Incontournable.

 

Laurent Dussutour

 

Yes! Trio : les 13 & 14/10 à l’U.percut Jazzclub (127 rue Sainte, 7e).

Rens. : http://u-percut.fr/