Entre deux rêves
Le [mac] présente la première rétrospective en France de Zineb Sedira. Articulée en chapitres, l’exposition Les rêves n’ont pas de titre suit un déroulement chronologique et rassemble les vidéos, les photographies et les installations réalisées par l’artiste entre 1995 et 2009.
Ce qui saisit immédiatement face à l’œuvre de Zineb Sedira, c’est cette douce oscillation, née de l’intense et du subtil. Selon Baudrillard, dans une image, « certaines parties sont visibles, d’autres non, les parties visibles rendent les autres invisibles, il s’installe un rythme de l’émergence du secret, une ligne de flottaison de l’imaginaire.(1)) » L’artiste, issue d’une double culture, cherche à concilier sans cesse héritage oriental et valeurs occidentales. Le déracinement, l’écartèlement culturel, la nostalgie, le langage sont autant de thèmes qui lui permettent d’évoquer l’histoire algérienne à partir d’expériences personnelles. Cette mémoire fragmentée, fragmentaire, s’exprime parfaitement à travers la métaphore de « l’entre-deux ». En couture, l’entre-deux est une bande de tulle, de broderie ou de dentelle qui nécessite la coupe de tissu. A l’inverse des incrustations qui superposent les éléments tissés, l’entre-deux sépare et disjoint tout en reliant. Il rompt l’unicité du tissu en proposant un rythme et focalise le regard sur ce nouvel espace. Comme son nom l’indique, il est bordé d’un côté et de l’autre et sert de passage à surprise entre deux rives plus monotones. Il n’existe que dans cette fonction d’avoir permis la coupure, mais c’est cette coupure qui permet la pose de l’entre-deux. Et, s’il tient ses origines du décor en tissu, le terme est très apprécié pour la réflexion psychanalytique. Pour Daniel Sibony (2)), la question de l’identité sous-tend l’entre-deux. Ce dernier, bien qu’il soit un terrain propice à la brisure et marque l’inquiétude d’une fêlure, cherche à préserver la possibilité d’un échange, voire d’une conservation réciproque. Il n’est pas anodin que Bernard Latarjet ait déclaré le soir du vernissage que Zineb Sedira « incarne parfaitement la création contemporaine euroméditerranéenne dont Marseille Provence 2013 se veut une vitrine exemplaire. » Si la première partie de l’exposition est nettement autobiographique, une réflexion plus récente de l’artiste autour des enjeux des déplacements humains et des mirages de notre monde globalisé occupe la scène. La Méditerranée, autre espace de l’entre-deux, y est omniprésente. Floating Coffins (2009), une spectaculaire installation vidéo tournée dans un cimetière de bateaux à Nouadhibou en Mauritanie, est ainsi le point d’orgue d’une exposition empreinte de poésie, d’humanisme et de justesse. Réjouissons-nous que Zineb Sedira ait accepté d’être la première artiste à s’investir dans le projet Euroméditerranée pour 2013. Le titre de l’exposition, inspiré d’un graffiti aperçu au port de Marseille lors du tournage de Middle sea en 2008, symbolise pour elle « une sorte d’hommage, une occasion de redonner quelque chose à cette ville. »
Nathalie Boisson
Jusqu’au 27/03/2011 au [mac]-Musée d’art contemporain de Marseille (69 avenue d’Haïfa, 8e). Rens. 04 91 25 01 07
Notes- Jean Baudrillard, L’autre par lui-même, Habilitation (éd. Galilée, coll. « Débats »[↩]
- Daniel Sibony, Entre-Deux, l’Origine en partage (éd. du Seuil[↩]