Zodiac – (USA – 2h35) de David Fincher avec Jake Gyllenhal, Robert Downey Jr, Mark Ruffalo…
Le paradoxe est plus que saisissant. A la vision de Zodiac, le critique avisé perçoit d’abord tout ce que le réalisateur de Seven et autres Panic Room aurait, jadis, raté. Il se rend compte, par la même occasion…
Patron, une Fincher !
Le paradoxe est plus que saisissant. A la vision de Zodiac, le critique avisé perçoit d’abord tout ce que le réalisateur de Seven et autres Panic Room aurait, jadis, raté. Il se rend compte, par la même occasion, de l’étendue du chemin parcouru. David Fincher a longtemps cédé naïvement à sa juvénile fascination pour les architectures narratives stylisées, mais terriblement creuses et tape-à-l’œil. Son approche cinématographique de l’obsession policière et de la paranoïa américaine s’est souvent résumée à la surexploitation d’un « nihilisme pour les nuls » assez mal digéré. Zodiac, en travaillant soigneusement au dépouillement formel de l’univers fincherien, n’en est donc que plus réussi. Dans cette histoire (vraie) de crimes en série non résolus, l’accumulation de signes, d’indices et de stratégies de décodages n’aboutit jamais à un édifice bouclé. Au contraire, le temps passe, diffus, scrupuleusement répertorié dans des cartons au bas de l’écran, comme un présent perpétuel que l’action est incapable de résoudre. Tout l’art de Fincher consiste alors à désamorcer le moindre rebondissement, en l’inscrivant dans cette Amérique où le sens fuit inéluctablement. Parce que le « Zodiac » n’a aucun mobile. Parce que les codes qu’il offre sont presque aussi gratuits que ses meurtres. C’est là plus qu’un parti pris de mise en scène : une véritable idée de cinéma, finalement beaucoup plus hitchcockienne que celles auxquelles il nous avait habituées. Filmer, c’est réinjecter du sens là où, invariablement, il se dérobe. Ni offrir des solutions, ni capturer le coupable ; plonger dans le flux vertigineux des représentations. Il aura donc fallu dix ans pour que Fincher tue l’esbrouffeur et fasse apparaître le cinéaste qui sommeille en lui. Belle victoire. Quant à Henri Seard, je le dis fermement mais sans animosité, il paie rien pour attendre (bankable, mon cul).
Romain Carlioz