Zone de sécurité temporaire de Anne-Marie Filaire au Mucem
50 nuances de gris
Qu’est-ce qu’une frontière ? La limite d’un État, le repère marquant la séparation entre deux zones, ou simplement entre deux choses différentes ? L’exposition d’Anne-Marie Filaire au Mucem répond à cette question par son titre même : Zone de sécurité temporaire. L’œil du spectateur s’y promène justement sur un fil entre noir et blanc, hommes (sur)vivants et paysages (in)finis.
À la fois réalité et concept, la frontière dérange quand elle interdit et arrange quand elle permet de fuir persécutions et inhumaine pauvreté. Il n’est dès lors pas surprenant de voir des géographes et historiens étudier son évolution, des politiciens en faire un enjeu de société, tel Donald Trump et son projet de mur entre États-Unis et Mexique, des philosophes en faire l’éloge (Régis Debray), et des photographes, comme Anne-Marie Filaire, la mettre en images.
Depuis plus de quinze ans, cette artiste promène son appareil photo entre Afrique de l’Est et Proche-Orient pour capter les cicatrices du temps sur des zones de contact et de séparation au sein de paysages immenses. Ici, la présence de l’homme est timide, la ruine arrogante, et la nature observe.
Le ton, ou plutôt l’image, est donné(e) d’emblée. À la simplicité brute de l’accrochage, tout de bois et de blanc vêtu, où le squelette des panneaux ne se cache pas, répondent déserts d’une autre Terre, routes déguisées en chemins interminables et façades d’immeubles meurtries.
La voix d’Anne-Marie Filaire, posée et reposée, n’est pas de trop pour relier l’aridité des paysages à la présence humaine en reconstruction permanente. À travers des haut-parleurs, la photographe nous rappelle qu’elle pratique un « travail de rue » où il faut « se montrer pour se laisser regarder ». Sa position de femme est une force car elle lui donne accès aux deux mondes, celui des hommes et celui des femmes. En somme, elle se situe elle-même à une frontière photographique.
Ses photographies transmettent en particulier l’empreinte des guerres. Pour autant, elles ne montrent jamais de blessés ou de morts. L’artiste ne se considère pas comme une photoreporter. Elle ne s’intéresse pas à l’instant, mais à la durée et pour cela, quoi de mieux que les paysages ?
Ce choix nécessite un grand travail de préparation en amont et un haut niveau d’exigence pour choisir format et lumière convenant le mieux au propos. D’un côté, comme la frontière déborde souvent du cadre, réunissant deux zones à la fois, le panorama se révèle très utile. D’un autre côté, le noir et blanc est de mise pour correspondre à cette d’idée de durée recherchée. Cependant, pour ne pas ajouter une sécheresse de couleurs à l’aridité des paysages, l’artiste joue sur différentes nuances de gris obtenues grâce à la position de l’objectif face à la lumière et au moment de la journée choisie. Ainsi, des immeubles blancs parviennent à trouver leur place dans l’œil du visiteur sur des photos en noir et blanc.
Le parcours de l’exposition se termine néanmoins par une poignée de photographies en couleurs de camps de réfugiés en Syrie. Serait-ce pour marquer une lueur d’espoir ? À voir ces centaines de constructions blanches identiques, évoquant un élevage industriel, on peut en douter. Peut-être est-ce plutôt le fait qu’il est maintenant question d’avenir et non plus de traces du passé. Ou encore, comme le dit le texte accompagnateur, que l’on se situe sur une zone temporaire et non plus durable, comme cela transpirait des photographies précédentes.
Guillaume Arias
Zone de sécurité temporaire de Anne-Marie Filaire : jusqu’au 29 au Mucem – Fort Saint-Jean (Esplanade du J4, 2e).
Rens. : 04 84 35 13 13 / www.mucem.org