Tu seras communiste, mon fils ! de Jean-Christophe Victor

Zoom sur l’AARSE – Association des Auteurs et Réalisateurs du Sud-Est

Oser lutter, oser vaincre

 

Mercredi 13 mai, le Gyptis ouvre, dans le cadre de son cycle Révolutions, son écran à l’Association des Auteurs Réalisateurs du Sud-Est (AARSE) pour une soirée spéciale consacrée à la création indépendante aujourd’hui traversée d’obstacles.

 

 

Le constat est chaque jour partagé par un nombre croissant d’acteurs investis dans la dynamique, à échelle hexagonale, de création, de production et de diffusion cinématographique : le système actuellement dominant s’est engouffré depuis de nombreuses années dans une réelle impasse. La praxis constatée, initialement louable, s’est retrouvée dévoyée par les bouleversements de modes opératoires, qui ont opéré un glissement de l’art vers la culture, et de la culture vers le culturel, ouvrant une voie royale au tout marchand. Nous l’avons maintes fois évoqué dans ces colonnes : les sempiternelles antiennes s’auto-convainquant d’une bonne santé du cinéma français peinent aujourd’hui à masquer une réalité en demi-teinte. Or, les forces en mouvement n’ont pas disparu : de nombreux réalisateurs luttent quotidiennement, portés par un souffle de liberté, de renouvellement des formes, de multiplicité des regards. Avec ce désir toujours inextinguible de faire des films. Parmi eux, les auteurs réalisateurs de l’AARSE, en proie à une réalité économique parfois abasourdissante, œuvrent régionalement à la création d’un cinéma sémillant et vivant. A l’heure où l’industrie hexagonale jacobine, soutenue par les plus grandes institutions, siphonne allègrement les fonds régionaux aux quatre coins du pays, il nous a semblé pertinent de donner la parole aux membres de l’AARSE, association de réalisateurs dont l’intelligence cinématographique et la pertinence créatrice n’est plus à démontrer, afin de lever le voile sur une pratique quotidienne semée d’obstacles.

Emmanuel Vigne

 

 

Sur le tournage de Camping Paradis

Sur le tournage de Camping Paradis

Vers un cinéma sans auteur…

 

La France se targue d’être le pays de l’exception culturelle et refuse la marchandisation de la culture. Ici, on le crie régulièrement haut et fort, les films ne sont pas des produits comme les autres — nous pensons que ni les films, ni les salades que nous mangeons ne devraient être des produits, mais des choses fabriquées avec amour par des individus singuliers, dans des endroits singuliers.
Dans le milieu du cinéma, nombre de personnes et d’institutions s’accordent encore à le dire : c’est le désir et le point de vue singulier d’un individu, l’auteur, qui est à l’origine d’un film et de la chaîne complexe qui se mettra ensuite en place pour sa fabrication, puis sa diffusion. Pourtant, cette prééminence énoncée comme une évidence dans ce qu’on appelle désormais « la filière audiovisuelle » est de en plus battue en brèche. Car la roue a insidieusement tourné. Et la chaîne de fabrication s’est inversée. C’est désormais le diffuseur — la télé (même pour un film de cinéma) — qui est le prescripteur, celui qui finance, celui qui décide ce que le spectateur (consommateur) veut voir, qui impose la durée, celui qui passe commande au gré de l’actualité ou des commémorations à venir.
Alors oui, les films sont en train de devenir des produits comme les autres.
Et si cela ne nous convient pas, ce qui est notre cas, nous voilà cantonnés dans notre réserve, qui, au fil des ans, se réduit à peau de chagrin : de moins en moins d’argent et de place, de plus en plus de monde.
Pour les cinéastes de la région PACA et tout le tissu cinématographique qui a voulu exister dans cette région, il apparaît clairement qu’aucun débat public, critique et contradictoire n’a eu lieu depuis 2010 concernant la politique du cinéma mise en œuvre sur le territoire. Un débat devenu privatisé. Nous constatons une évolution qui favorise de plus en plus le secteur économique, sans prise en compte des intérêts des cinéastes de la région (disparition progressive ou dénaturation des aides aux auteurs) au détriment de la création. La région devient avant tout une terre de tournage, une collection de cartes postales supplémentaire que le catalogue de films soutenus doit enrichir. Or, quid du réseau local ? On assiste donc aux « prélèvements » qui voient remonter, vers la capitale et ses industries centralisées du cinéma, les budgets publics que les régions devaient consacrer au tissu cinéma du territoire, ses artistes et ses producteurs, amenés mécaniquement, pour les plus fragiles, à disparaître. Les chiffres de 2013 sont formels : la grande majorité des fonds alloués remontent à Paris. Et bien au-delà, c’est la dynamique du cinéma français qui est ici en danger. Pourtant, les points de résistances s’organisent nationalement, en ce moment même.
Nul ne peut plus ignorer le chiffre magique censé résumer à lui seul toute la politique institutionnelle : quand celle-ci consacrerait 1 € au cinéma, elle recevrait près de 18 € de retour sur cet investissement. Ce chiffre (bien peu crédible) ne concerne en fait que 20 % des aides versées depuis 2003 (celles aux téléfilms) alors que les autres chiffres tout aussi discutables, sont bien inférieurs à 5 €. Nous lisons des données inquiétantes qui mettent en doute ce qui est clamé dans l’espace public, concernant notamment les liens entre financements régionaux et accueils de tournage, les retombées sur l’emploi qui en découlent, la disparité territoriale, qui s’est accrue depuis dix ans (plus de 90 % des aides aux festivals attribuées à deux départements de la région).
Les intrusions du CNC dans les politiques territoriales conduit donc à un désastre économique dont les conséquences sont aisément mesurables, économiquement, culturellement et artistiquement.
Faire un film s’apparente pour nous à un chômeur qui tente de décrocher le Saint Graal d’un emploi, quand il faut s’adapter au seul marché du divertissement de masse. Il n’y est plus question de création mais d’image, d’entertainment, de tourisme et de rentabilité. Et comme pour les chômeurs, il y a ceux qui nous apprennent à bien faire : les formations et résidences d’écriture se multiplient, toujours sans rémunération des auteurs, mais permettant de salarier des intermédiaires.
Et au bout de la chaîne, c’est encore à nous (ou à nos producteurs) de payer pour inscrire les films dans de nombreux festivals devenus des réseaux de diffusion qui ne rémunèrent pas les films.
Alors pour qui sont les fameuses retombées économiques ? Les productions parisiennes qui viennent tourner au soleil ? Les chaînes hôtelières qui accueillent les équipes ? Les bus operator qui font visiter les studios de la Belle de Mai ? L’argent public alloué à la culture a-t-il vocation à ça ? La réponse est non.
Nos regards et nos films singuliers participent de la richesse du monde et lui sont même nécessaires. Parce qu’ils parlent depuis notre expérience intime et rencontrent parfois la vôtre. A quand une parole politique forte et engagée en matière de cinéma ? A quand des engagements singuliers, cohérents et visionnaires ? Nous refusons le fatalisme invoqué avec le contexte économique actuel.
Afin de poursuivre la réflexion, nous organisons une soirée au cinéma Le Gyptis, le 13 mai prochain, sur le thème « Quelle place aujourd’hui pour le cinéma indépendant ? », en compagnie de la philosophe Joëlle Zask. Nous lançons un appel aux élus, aux professionnels, au public, qui souhaiteraient débattre, réfléchir et élaborer une politique respectueuse des deniers publics, à la hauteur des enjeux qui se profilent.

L’Association des Auteurs et Réalisateurs du Sud-Est (l’AARSE)